Premier février 1926.
La résurrection d'Ḥasan al-H̱arrāṭ ne fait plus aucun doute pour personne. C'est une sorte de Garibaldi damascain dont "la geste" intéresse vivement le petit peuple. Trahi par un paysan des environs, il avait été blessé au cours d'une attaque à Šāġūr et dit mort. Pendant le temps de sa disparition, les attaques s'étaient ralenties. Mais les insurgés ont un hôpital, dont le Docteur Šahbandar doit être le major sans doute... Où? On ne sait. Bref, il y fut soigné et guéri. Et son rétablissement marque la reprise des hostilités...
Ce n'est vraiment pas le moment de lui prendre son fils! Pourtant, cela arrive le matin, dans des conditions assez révoltantes: une nouvelle édition du "tableau de chasse" a été donnée place al-Marja à la population. Ils étaient trois jeunes gens dont les cadavres se balancèrent exposés jusqu'à une heure avancée, "pour faire un exemple". La méthode qui fit faillite est donc poursuivie avec persévérance par l'autorité, qui ne comprend pas plus ce peuple qu'aux premiers jours.
La foule indigène, parmi laquelle étaient sans doute de nombreux insurgés, fut maintenue par un barrage de soldats et ne put avancer près des condamnés, tandis qu'on laissait passer tous les Européens (et même les Européennes) qui voulaient photographier. La vue des malheureux était cependant particulièrement affreuse: le fils d'al-H̱arrāṭ avait des traits creusés, l'air souffreteux, il tirait une langue noire et gonflée. Les autres avaient un visage plein et jeune, presque recueilli. Spectacle macabre, même pour moi qui, pendant la guerre, ai vu pourtant bien des horreurs! les parents gémissaient dans un coin de la place et les spectateurs contemplaient cela d'un air à la fois indigné et fataliste.
En protestation, ce soir, beaucoup de magasins se sont fermés, car, pour les Damascains, ce ne sont pas des criminels qu'on punit, mais des patriotes sur lesquels on s'est vengé.
Alice Poulleau. À Damas sous les bombes. Journal d'une Française pendant la révolte syrienne 1924 - 1926 (p. 167 - 168). Ed. Bretteville Frères, (Paris 1926).
Photo (supprimé) Stironi
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