Puisse Dieu préserver notre chère patrie d'une chambre de députés, d'un sénat élu et du suffrage universel! Les nations les plus réfléchies, les peuples les mieux doués ont peine à s'en bien trouver. Nous avons fait de ce régime, en Turquie, l'amère expérience. Il en sera ainsi chaque fois que, en Orient, on voudra recommencer. Celui qui a dit: " Pour être heureux, l'Orient a besoin d'un despote juste" connaissait à fond notre nature et nos besoins. Ce n'est pas avec des utopies et des formes, non plus avec des libertés mal appropriées qu'on procure aux communautés la tranquillité, dans l'ordre, et la prospérité, dans la justice. Certes le despotisme nous répugne, mais l'oligarchie, surtout dans un petit pays comme la Syrie, impatient de parvenir, parce que de tout temps courbé sous le joug, nous est encore plus odieuse. Au lieu de se reconstituer, en se faisant une unité, et de concentrer ses efforts dans un travail ordonné, susceptible de lui procurer la fortune, qui seule, dans la pratique, permet aux nations de se payer le luxe du parlementarisme, sans risques irréparables, la Syrie ne formerait, sous un régime parlementaire, qu'un vaste champ de lutte électorale; ses habitants abandonneraient les travaux rémunérateurs pour les chicanes politiques et stériles. Eux, qui n'ont pas assez de leurs forces et de leur temps pour réparer les maux d'un long passée qui leur a légué la misère morale et matérielle; eux, que des différences de croyance et de races ont tenus jusqu'ici si divisés, échangeraient leurs armes d'autrefois contre les bulletins électoraux, et lâcheraient la réalité bienfaisante pour l'ombre pernicieuse et nuisible. Non, mes frères, ne souhaitons pas un régime dont nous ne savons que faire. Consacrons-nous à exploiter notre sol, à étendre notre commerce, à nous créer des industries; tâchons de nous enrichir de la richesse matérielle. L'acquisition de la richesse ne nous empêchera pas de cultiver nos esprits, mais cela nous permettra en plus d'être à notre aise, pour lire, de loin, les comptes rendus des séances parlementaires, où les députés se disputeront sous prétexte de servir leur patrie, quand nous aurions plus utilement servi la nôtre, par un travail discret et un effort individuel. Le vote à deux degrés pourvoira sagement et d'une façon suffisante à l'élection de nos fonctionnaires administratifs.
Nadra Muṭrān. La Syrie de demain (p 228 - 229).
Peinture (Fedor Rokotov): Catherine II en 1763
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