La partie des montagnes ʾAnṣārīya جبال الأنصاريّة qui domine le Ġāb الغاب est entièrement peuplée de nuṣayris النصيريّة. Au contraire, vers le Sud, les Ismāʿīlīya الاسماعيليّة habitent la région de Qadmūs قدموس et de Maṣyāf مصياف. Ces derniers descendent des partisans du « Vieux de la montagne », souvent connus sous le nom d'Assassins الحشّاشون dans les récits occidentaux. Si les vallées du versant méditerranéen offrent des ressources suffisantes aux montagnards, les pentes orientales et la haute crête qui domine l'Oronte sont d'une extrême pauvreté. Les déclivités dépassent souvent 45°. Le sol se prête beaucoup plus au développement de la garrigue qu'à la réussite des cultures. Près des villages, d'étroites terrasses que soutiennent des murettes donnent un peu de blé ou quelques légumes si on peut les irriguer. Des hameaux descendent jusqu'à la limite de la plaine. La plupart des localités s'agrippent au flanc de la montagne et dominent les marais d'une hauteur de 100 à 400 mètres. De ces observatoires, les montagnards aperçoivent les troupeaux qui paissent aux abords des marais, les riches cultures qui couvrent la plaine au Sud d'ʿAšārna العشارنة, les grosses bourgades qui jalonnent le rebord occidental du plateau, les terres à céréales qui se développent à perte de vue au delà de Mḥarda محردة. Longtemps, de fructueux rezzous complétèrent les maigres ressources des nuṣayris. Population réduite à vivre dans la misère et voyant à ses pieds des agglomérations prospères, elle éprouvait des sentiments analogues à ceux que ressentent les nomades lorsqu'ils approchent de la zone de sédentarisation. Montagnards endurcis à la fatigue, obligés de peiner pour se procurer leur subsistance, doués ďune farouche énergie et assurés de l'impunité, ils ne pouvaient échapper à la tentation de faire des coups de main sur les troupeaux et sur les moissons.
Les pouvoirs publics n'attachaient nulle importance à ces déprédations. Incapables de conquérir la montagne des ʾAnṣārīya, les califes avaient toléré l'autonomie que les nuṣayris étaient toujours prêts à défendre les armes à la main. Pendant toute la première moitié du dix-neuvième siècle, les pachas, dépourvus d'argent et de troupes, étaient réduits à l'impuissance. Vers cette époque, certain Ismāʿīl Bey اسماعيل بك acquit une forte influence chez les nuṣayris. Il devint le véritable maître de la montagne entre I850 et 1855. Fier de son prestige sur ses coreligionnaires, il voulut assurer son autorité par des expéditions rapides et fructueuses. Les nuṣayris , conscients de leur force, jetèrent le trouble dans le sandjak de Ḥama. Le gouverneur de cette ville installa un directeur مدير Ismāʿīlī à Maṣyāf dans l'espoir que ce dernier ruinerait l'autorité d'Ismāʿīl. Il n'en fut rien. En 1858, les Ottomans durent recourir à la force. Des petites colonnes encerclèrent la montagne. Ismāʿīl fut trahi et tué. Les Turcs eurent l'illusion d'avoir affermi leur domination sur les ʾAnṣārīya.
Richard Lodoïs Thoumin. Le Ghab. Revue de Géographie Alpine 1936 pp. 467- 538
René Dussaud. Topographie historique de la Syrie antique et médiévale (carte)
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