Saturday, October 14, 2023

Le nouveau Tamerlan

 


Mardi 20 octobre 1925


Par un hasard heureux, il n'y eut pas de vent hier soir, sans quoi tout Damas brûlait. Le spectacle de l'incendie était à la fois horrible et superbe....

J'avais le sentiment de revivre au temps de Tamerlan, car ce n'était que la réédition moderne de tous les viols que, dans l'histoire, subit cette ville vieille comme le monde. le décor, du reste, avait peu changé!... L'antique Jabal Qāsīūn, qui en a tant vu depuis qu'il arque son dos fauve; le Qalamūn sauvage, le lointain Jabal al-ʾAswad tabulaire regardaient ce soir, comme jadis, une scène presque familière.... De leur sommets, Damas devait sembler un bûcher funèbre dont les étincelles avaient allumé dans toute la Ġūṭa d'autres foyers tragiques. Damas et sa belle Ġūṭa embrasées comme au siècles de fer, aux siècles de nuit!! Quelle puissance funeste fait se renouveler aux cours des âges les mêmes gestes dans les mêmes lieux?... Dans un ciel d'encre une immense torche embrasée s'élevait, agitant un panache de fumée tournoyante, teintée de sang; les arbres s'enlevaient en une ligne crue et nette sur ce fond enflammé et les lointaines ouvertures des maisons sans toit de Šāġūr béaient, rouges de l'incendie qui les dévorait à l'intérieur. Les fenêtres éclairées de Bāb Tūma prenaient, sur ce fond d'un pourpre sombre, une teinte bleue verdâtre d'alcool à brûler, presque diabolique.
















Alice Poulleau. À Damas sous les bombes. Journal d'une Française pendant la révolte syrienne 1924 - 1926 (p. 89-90). Ed. Bretteville Frères, (Paris 1926). 

Photo Stironi

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