Dimanche 25 octobre 1925.
J'ai commencé ce matin le triste pèlerinage aux "ruines modernes" de Damas. Impression inoubliable! Arrivée par un temps gris, triste, endeuillé, rue Sanjaqdār, je ne sais plus où je me trouve. Tout le hammām, la portion des magasins de droite avant la mosquée Darwīšīya sont détruits. Détruits ceux de gauche et les boutiques où j'avais de vieux amis si polis et honnêtes. Tout y fume de poussière et de tisons; les minarets et les coupoles ont des éclaboussures d'obus commes des offenses barbares. Je poursuis jusqu'à l'entrée du Mīdān. Là, c'est un nouveau crève-cœur: un trou béant s'ouvre dans la coupole de la belle mosquée as-Sinānīya. L'obus, par miracle, après être tombé à l'intérieur, n'a pas éclaté. Le petit sūq as-Sinānīya, si joyeux au Mawlid an-Nabi, a toutes ses boutiques fermées et détériorées, et ce qui me donne la notion juste de destruction accomplie là, c'est de voir brusquement, à travers une ruelle, l'immense carcasse de tôle du toit du sūq aṭ-Ṭawīla, disloquée et brisée, gisant à terre comme les restes d'un Zeppelin. Toutes les petites boutiques où je venais acheter des étoffes, des laines teintes, ont leurs portes défoncées, leurs rayons carbonisés et vide de leur contenu. Là, nous disent les gens du quartier, on a vu des soldats crocheter les portes des boutiques et dérober en plein jour. De l'immense déchirure du toit, le jour tombe cru pour éclairer des ruines et l'on est tout désorienté de voir la lumière et le ciel en cet endroit, qui était un tunnel sombre retentissant de clameurs et de piétinements. La vie et l'animation reprennent au quartier chrétien seulement.
Alice Poulleau. À Damas sous les bombes. Journal d'une Française pendant la révolte syrienne 1924 - 1926 (p. 105 - 106). Ed. Bretteville Frères, (Paris 1926).
Photo Stironi
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