Le Marj المرج continue la Ġūṭa vers l'Est et s'étend jusqu'au lac ʿUtayba العتيبة où se perd le Barada. Des îlots de verdure font transition entre les jardins et cette plaine morne et poussiéreuse l'été, verdoyante l'hiver, qui conduit insensiblement aux steppes désertiques. Les villages et les grandes fermes se construisent près de ces bouquets d'arbres.
Dans le Marj, le site de l'agglomération échappe aux variations. La pente douce et continue de la plaine permettrait de tout irriguer. Que l'eau vienne des dérivations du Barada ou de petites sources qu'alimentent les infiltrations de la Ġūṭa, il n'est pas nécessaire que le village se construise hors de la zone arrosée: il peut s'établir au centre de son exploitation. Cependant, les agglomérations ne peuvent se fixer au hasard. La réduction des eaux d'irrigation oblige l'indigène à cultiver un domaine déterminé. Les bouquets d'arbres annoncent les sites favorables dont le paysan ne peut éloigner sa demeure.
On quitte la zone de transition en s'avançant vers l'Est. Un ruban de saules et de peupliers longe le lit du Barada pendant quelques kilomètres, mais au Nord et au Sud de ce rideau, l'œil embrasse des centaines d'hectares sans apercevoir un arbre. Dans cette plaine, l'indigène mène une lutte incessante. Il combat l'eau pendant la saison des pluies et s'assure contre la sécheresse pendant l'été. La population du Marj vit ainsi une existence proche de la misère qu'aggrave, six mois de l'année, le harcèlement des moustiques porteurs du paludisme. Enfin, pendant des siècles, les villageois durent se protéger contre les bédouins qui campent dans la région des lacs dès la mi-mai.
Les villages s'établissent quelquefois sur un tertre artificiel comme Tell Maskan تلّ مسكن ou sur les pentes d'un mamelon bordant la plaine alluviale comme Hayjāna الهيجانة (*). Plus fréquemment, ils se situent près d'un canal relativement important; celui-ci, dans une certaine mesure, peut drainer les terres avoisinantes et leur éviter l'inondation pendant l'hiver; pendant l'été, il conserve un filet d'eau pour les besoins domestiques. Il est difficile de savoir si le canal fut tracé en fonction de l'agglomération ou si les maisons se sont construites en fonction du canal. On peut supposer avec vraisemblance que les principaux canaux sont antérieurs aux villages puisqu'ils sont directement liés à l'irrigation de la Ġūṭa dont ils recueillent une partie des eaux de surplus, et puisque à l'époque des pluies ils conduisent hors des jardins la totalité du débit du Barada. Au contraire, l'agencement des dérivations secondaires destinées à tirer profit des principaux canaux serait postérieur à la création des localités. Ces nouveaux réseaux contribuérent d'ailleurs à la fixation des groupements humains. Il faut enfin noter que fréquemment l'indigène, pour construire sa demeure en terre, fait des trous vite transformés en marécages qui bordent le village sur une ou deux faces et l'empêchent de se déplacer: c'est ce que l'on observe avec netteté autour d'ʿAdra عدرا.
(*) Hayjāna a fourni une inscription grecque du troisième siècle.
Richard Thoumin. Géographie humaine de la Syrie Centrale. Tours, Arnault et Cie 1936
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