Le chef du village habite une case plus longue, où l'on entrevoit un effort de propreté et de confort: un kilim est étendu à terre et trois ou quatre sièges bas attendent les hôtes de passage: gendarmes en tournée ou chef bédouin en randonnée. Sorte d'insigne de son pouvoir, il conserve le cercueil dont use la communauté: ce sont les seules planches que l'on puisse trouver à Jalama.
La plupart des habitations ont leur unique ouverture face au Sud. Les demeures se groupent à quelques mètres les unes des autres; parfois des monticules, amas de terre provenant du creusement des cases, les séparent. Une femme vêtue de noir attise son feu devant la porte que ferme une claie de roseaux. Des enfants, serrés dans des peaux de moutons, s'ébattent près des tas d'ordure et poussent des cris tour à tour gutturaux ou stridents. Des chiens, puissants molosses aux poils raidis par la boue et par la saleté, se pressent en meute hostile vers l'étranger qui s'avance. Au delà du village, quelques pierres pointent hors de la terre rougeâtre: le cimetière. Une margelle et une auge au ras du sol marquent le puits où s'alimentent les familles.
L'été, l'agglomération prend un autre aspect. La population délaisse les demeures qui abritent, à l'époque des pluies, bêtes et gens. En bordure des dernières masures, ou plus fréquemment à quelques centaines de mètres dans la campagne, on dresse des tentes. D'avril à novembre ces villages sont des campements de nomades.
Ces villages mawāli بدو الموالي représentent donc une forme spéciale de sédentarisation. Elle est permanente en ce sens que les villages ont une population constante: les bédouins se fixent et cultivent la terre au même titre que des fellahs. A quelques exceptions près, ces villages constituent des établissements définitifs dont le nombre - semble-t-il - ne peut que s'accroître. Les plus anciens dateraient d'une soixantaine d'années, les plus récents n'ont pas vingt ans d'existence.Ces nomades regardent volontiers cette période de leur vie passée près du Ġāb الغاب comme une malchance, ils l'estiment passagère. Ils ne cherchent à acquérir aucune des qualités du fellah et ne font même pas effort pour améliorer leur habitation. La culture leur est une corvée, la terre ne leur offre aucun intérêt. Il n'est pas osé de se demander si cette expérience de la vie sédentaire ne pare pas la vie nomade d'attraits et de richesses allant jusqu'à lui donner les couleurs d'un paradis perdu.
Richard Lodoïs Thoumin. Le Ghab. Revue de Géographie Alpine 1936 pp. 467- 538
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