Rien ne pouvait attirer les nomades dans le Ġāb. L'eau imbibe le sol. Les villages s'accrochent à de faibles éminences qui évitent l'inondation. Les terres cultivables font défaut. Les herbages, excellents pour les buffles, ne sont nullement propices au mouton ni au chameau. La pêche reste l'une des rares ressources de la région: les pasteurs n'y étaient certes pas préparés. Les bédouins n'y vinrent donc que sous la pression de circonstances auxquelles ils ne pouvaient échapper. Cette pression ne dépendait pas des chefs immédiats des tribus, qui ne pouvaient trouver avantage à ce que leurs gens vinssent se fixer en un pays dont la pauvreté ne permettait pas de lever le moindre impôt. L'indigence aurait pu les conduire à se louer chez les fellahs qui cultivent les cazas أقضية d'Alep, d'Idlib, de Maʿarrat al-Nuʿmān معرّة النعمان, de Ḥama. Une telle décision pouvait également s'imposer si de puissantes tribus les avaient refoulés du Ḥamād الحماد. Mais venir se fixer dans l'un des districts les plus déshérités de la Syrie exige une autre explication: ces bédouins seraient-ils des déportés? C'est ce qu'affirment des sédentaires de Sqaylbīya السقيلبيّة et des habitants de Jamasa جماسة; ils auraient quitté les bords de l'Euphrate sur l'ordre des Turcs.
Les déplacements forcés comptaient au nombre des méthodes favorites de la Porte et de ses pachas. Sur les pentes d'un vallon proche de la crête qui limite au Nord-Ouest la plaine de Jayrūd جيرود, des Turcomans habitent le village de Qaldūn قلدون. Ils y seraient depuis le dix-septième ou le dix-huitième siècles. Ils ne se fixèrent où nous les voyons que par contrainte: le village ne possède que des puits d'eau salée et les femmes font plusieurs kilomètres pour quérir l'eau potable. Village de pasteurs, sa population ne s'adonne à aucune culture, sauf à celle des roses dont elle extrait le parfum. Fidèle à ses coutumes, elle construit ses murs de clôture et ses maisons en pierres sèches, les matériaux s'empilant en chevrons. On peut comparer ce cas à celui des villages nuṣayris proches du Ḥūla بحيرة الحولة, ou des groupes šarkas تجمّعات من الشركس établis entre Ḥimṣ et Salamīya السلميّة.
Richard Lodoïs Thoumin. Le Ghab. Revue de Géographie Alpine 1936 pp. 467- 538
Les villages des marais
No comments:
Post a Comment