Monday, April 11, 2022

Le Ġāb au début du vingtième siècle

 


 Quand s'ouvre le vingtième siècle, le Ġāb, plus encore qu'une limite, est peut-être un refuge. Le rebord oriental du plateau donne asile aux descendants des vieux sédentaires et deux bourgades chrétiennes recueillent les Grecs orthodoxes que refoulent les nuṣayris. Les marais reçoivent des nomades, transplantés pour n'avoir pas su vaincre leurs rivaux ou pour avoir déplu aux autorités ottomanes. Le Ġāb, et non seulement la plaine à céréales, mais les roselières, offrent aux nuṣayris chassés par la misère la subsistance que leur refuse la montagne. Les pentes du golfe de Jalama الجلمة, enfin, en dépit de leur mode particulier d'exploitation et de sédentarisation, forment un refuge pour une tribu dépossédée de ses pâturages traditionnels, pour des familles sur lesquelles s'abat la malchance.

Le mot "refuge" éveille, dès que l'on pense à l'Orient, l'idée des minorités religieuses, fidèles à leurs croyances et à leurs coutumes, vivant repliées sur elles-mêmes à l'abri de quelque obstacle. Avant l'arrivée des nomades, Qalʿat a-Muḍīq قلعة المضيق et Sayjar سيجر étaient les seules agglomérations sunnites. De Sqaylbīya السقيلبيّة à Ṣārmīya الصارميّة, par Mḥarda محردة et ʿAqīrba عقيربة, une population chrétienne s'était maintenue depuis l'époque byzantine. L'éloignement des voies de communication les avaient préservés du sunnisme. Ces familles vivaient au voisinage immédiat du refuge des nuṣayris d'Abu Qubays أبو قبيس et des Ismāʿīlīyas de Maṣyāf مصياف. Sans doute, des haines et des querelles opposaient ces sectes les unes aux autres, mais il régnait cependant entre elles, semble-t-il, une sorte d'union tacite dès qu'il s'agissait de faire front contre les sunnites. Ces terres, limitrophes de La Syrie méditerranéenne et de la Syrie intérieure, échappaient à l'autorité des gouverneurs d'Alep, de Damas, de Tripoli. La tentation d'intervenir effleurait parfois les fonctionnaires de Ḥama, mais à quoi bon imposer sa volonté à des villages qui, à l'exception de Mḥarda, ne pouvaient même pas être pressurés.




Robin Fedden. Syria, an Historical Appreciation. Robert Hale Ltd, London, 1946 (photo)




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