Wednesday, June 14, 2023

Jabal Ḥōrān et les Ḥamdān

 


 Au onzième siècle, lorsque les Croisés arrivent en Syrie, la religion druze, fondée au Caire cent ans auparavant, s'est déjà infiltré dans le pays; ses adeptes vivent en groupements, dont le plus important est sur l'Oronte, au nord d'Idlib; un deuxième habite le Liban, un autre la région Ḥāṣbayya-Rāšayya, et un quatrième, plus réduit, le Ḥōrān, au pied de la montagne qui portera plus tard le nom de Jabal ad-Durūz. 


Le premier groupe, celui d'Idlib, riche et puissant, comprend des familles dont l'influence est prépondérante dans le pays, les ʾAṭraš surtout, ancêtres de ceux qui soulèveront le Jabal ad-Durūz en 1925. L'aîné de ces anciens ʾAṭraš, est, par hérédité, chef religieux du groupement: lorsqu'il se rend à la prière du Vendredi, à Ḥārim, les notables musulmans de la ville essuient la poussière de ses chaussures, raconte la légende. Quoique redoutés, les Druzes font bon ménage avec les chrétiens; ils ne se pénètrent pas religieusement, mais se prêtent volontiers appui contre l'ennemi commun: le Turc.  

Au seizième siècle, ʾIbrāhīm Pāṣa, gouverneur d'Égypte et de Syrie, ayant à se plaindre des Druzes, convoque leurs principaux chefs à ʿAyn Ṣōfar, sa résidence d'été, dans la montagne du Liban. Il les reçoit amicalement à sa table,  mais les fait froidement assassiner dans la nuit qui suit; ses armées n'ont plus beaucoup de peine ensuite pour réduire les villages druzes qui, privés de leurs cheikhs, n'opposent pas de résistance. Cependant, cette brutale façon de faire éloigne de l'Oronte et du Liban bon nombre de famille druzes qui s'en vont grossir le noyau de leurs frères du Ḥōrān.

Un siècle plus tard, une autre expédition, conduite par les Ottomans, saccage encore les villages druzes du Liban, et c'est un nouvel exode des familles vers l'est. Là, dans les plaines de Ḥōrān, les Druzes vivent assez peu considérés au milieu des musulmans et des chrétiens; ils sont pauvres, n'ont pas le droit de posséder des terres et servent généralement de domestiques dans les familles riches. 

La communauté est dirigée par un chef énergique, le prince Ḥamdān, lequel rêve pour sa race d'une situation meilleure. En bordure des plaines du Ḥōrān, à l'est, est une montagne habitée en été par des bédouins vivant sous la tente et nomadisant pour trouver les pâturages nécessaires à leurs troupeaux. Dans cette montagne, il y a des terrains cultivables dont Ḥamdān voudrait bien s'emparer pour y fixer son peuple et le sortir de la condition inférieure qu'il a au Ḥōrān.

Les bédouins sont nombreux, mais les Druzes, depuis l'arrivée de leurs frères du Liban, ne le sont pas moins. Conduits par Ḥamdān, qui a mûri et préparé l'expédition, ils envahissent le Jabal, tombent sur les nomades, les battent, les refoulent vers le sud et les vainqueurs prennent possession de la montagne; ils n'en partiront plus et, désormais, le Jabal Ḥōrān s'appellera Jabal ad-Durūz. La communauté y vivra dans une quasi-indépendance; elle reconnaîtra bien les Turcs comme ses maîtres, mais elle ne leur permettra jamais de contester sa conquête. 










Édouard Andréa. La Révolte druze et l'insurrection de Damas, 1925-1926. Payot, Paris 106 Boulevard St. Germain, 1937. 

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