ʿAbdul Ġaffār Pāša, de la branche aînée des ʾAṭraš, ne peut admettre de n'avoir pas été choisi comme gouverneur du Jabal ad-Durūz, au lieu de son cousin Salīm Pāša; il conspire contre ce dernier depuis longtemps. La présence d'une force militaire française à Soueida met une sourdine à son activité; il n'agit plus ostensiblement, mais n'en continue pas moins sa campagne sournoise de dénigrement. Salīm Pāša est critiqué dans sa gestion gouvernementale, comme dans sa vie privée; on lui reproche surtout de vouloir accaparer l'émirat pour la seule maison de ʿAra عرى.
L'agitation gagne le peuple et fait que la situation intérieure du Jabal se charge de nuages. L'horizon devient très sombre, lorsque l'ordre de désarmer les Druzes est lancé par la délégation du Haut Commissariat de Damas, mesure prématurée et impolitique, du moins pour le moment, à notre avis.
Désarmer un peuple essentiellement guerrier, au lendemain d'un décret lui donnant son indépendance, c'est, pour le moins, l'humilier; et, lorsqu'on s'adresse aux Druzes, race fière et prompte à la révolte, on court tout droit au devant d'événements graves. Les féodaux voient, dans l'ordre de la délégation française, une restriction à la liberté politique qui leur a été donnée, et le peuple, qui ne s'est jamais laissé désarmer par ses anciens maîtres, y voit une atteinte à l'honneur de la race. Tout le monde est mécontent, nos partisans se montrent aussi déçus que nos adversaires, et tous blâment le gouverneur Salīm d'avoir souscrit à une pareille mesure.
ʿAbdul Ġaffār Pāša est acquis à la cause chérifienne, il en tire profit et son ambition démesurée lui fait penser qu'avec une autre puissance protectrice que la France, il sera le premier au Jabal.
Son neveu et compère, Sulṭān, personnage moins fin, mais plus énergique et volontiers guerrier, est depuis longtemps à la solde de Fayṣal; l'ancien roi de Syrie lui a conféré le grade de général chérifien honoraire et l'a gratifié d'une mensualité de cent livres turques pour entretenir la propagande panarabe au Jabal.
Il ne faut donc pas se faire illusion: un parti, au Jabal, travaille contre nous; nous verrous les deux cheikhs surnommés - les plus agissants de la famille ʾAṭraš - saisir toutes les occasions pour dresser leurs partisans contre le mandat français, et contre le gouverneur Salīm qui l'applique honnêtement avec nos conseils et sous notre contrôle. Nous les verrons aussi organiser des bandes, attaquer nos soldats et les massacrer lorsqu'ils seront en force.
Édouard Andréa. La Révolte druze et l'insurrection de Damas, 1925-1926. Payot, Paris 106 Boulevard St. Germain, 1937.
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