Šibli al-ʾAṭraš |
L'entente n'est pas parfaite au sein de la communauté druze; si on ne paye plus d'impôts au Turcs, on en verse de très lourds aux féodaux et le peuple est mécontent. Un membre de la famille ʾAṭraš, bienveillant, libéral et quelque peu philosophe, le šayẖ Šibli, entreprend une campagne contre ses oncles et ses cousins, pour excès de fiscalité; il a tout de suite pour lui la masse du peuple qui le nomme émir, malgré l'opposition de ses aînés.
Probe, honnête, administrativement averti, il en impose bientôt à tous et sa famille finit par le reconnaître comme chef des Druzes du Jabal. La tranquillité règne dans le pays et tout marche à la satisfaction du sultan de Constantinople jusqu'au jour où les Turcs s'avisent d'établir la conscription au Jabal. Šibli répond par un refus brutal et une fois de plus les Druzes se réfugient dans le Lajāt.
Dans un esprit d'apaisement, les Ottomans retirent leur ordre de conscription, mais construisent une citadelle à Soueida où ils installent une garnison; celle-ci est aussitôt investie par les Druzes qui entendent rester maîtres chez eux.
Ne pouvant avoir raison de ce peuple par la force, les Turcs pensent le réduire par la trahison; en 1909, quelques cheikhs druzes sont invités à se rendre à Damas pour y recevoir les ordres du gouvernement, et la tragédie d' Ayn Ṣōfar, relatée précédemment, se renouvelle dans les mêmes conditions qu'il y a trois siècles. Après avoir été bien reçus par le pacha turc, les cheikhs druzes sont assassinés, et parmi les victimes se trouve le père de celui qui sera l'âme du soulèvement de 1925: Sulṭān al-ʾAṭraš.
Les assassinats de Damas sont le signal d'une nouvelle révolte au Jabal, laquelle avec des hauts et des bas, se poursuit jusqu'en 1914, époque où elle devient violente. Le terrible gouverneur Jamāl Pāša qui, en Syrie, a laissé une réputation de tyran sanguinaire et destructeur, commande à Damas, lorsque les Turcs déclarent la guerre aux Alliés. Conseillé par les Allemands, il fait exécuter sur le canal de Suez un coup de main qui jette l'émoi chez les Britanniques. Une armée anglo-franco-arabe est alors organisée en Égypte en vue de porter les hostilités en Palestine. Jamāl Pāša aligne ses troupes, dont la direction est aux mains d'officiers allemands, en face des Alliés.
Le ravitaillement de l'armée turque est chose difficile dans ce pays où les Ottomans ne sont pas aimés et où le pillage est endémique; le gouverneur de Damas demande aux Druzes du Jabal de protéger, sur le sol dont ils ont la garde, les convois de vivres à destination des combattants turcs. Mais Sulṭān al-ʾAṭraš, qui s'est déjà révélé par son énergie, n'a rien oublié du lâche assasinat de son père à Damas; il a les Turcs en haine et, au lieu d'obtempérer aux ordres du pacha, il fait au contraire harceler les convois turcs, couper la voie ferrée pour immobiliser les trains et piller vivres et munitions entassés dans les wagons.
La victoire couronne les efforts des Alliés et Sulṭān se trouve aux côtés de l'émir Fayṣal, le 2 octobre 1918, lorsque les troupes anglo-arabes font leur triomphale entrée à Damas. Traité avec égard par les chérifiens, il embrasse leur cause et, en 1925, nous retrouverons ce cheikh druze dressé contre nous avec tout son peuple.
Édouard Andréa. La Révolte druze et l'insurrection de Damas, 1925-1926. Payot, Paris 106 Boulevard St. Germain, 1937.
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