Monday, June 19, 2023

La féodalité chez les Druzes

 


 Le régime de féodalité règne au Jabal; les Druzes y vivent en communautés de familles plus ou moins importantes, souvent divisées par des rivalités à base d'intérêts. Chaque famille obéit à un chef dont l'action dépend des circonstances du moment; mais l'union se fait étroite entre tous les Druzes lorsqu'il s'agit d'une cause intéressant la race; la solidarité est alors complète, depuis le plus grand des cheikhs jusqu'au plus humbles des paysans. 

La famille ʾAṭraš الأطرش est, au Jabal, la plus anciennes, la plus riche et la plus influente. Sa fortune commence en 1850, avec les cheikh ʾIsmāʿīl إسماعيل qui chasse du Jabal la famille Ḥamdān حمدان, celle-là même qui a conquis la montagne sur les bédouins nomades et donné l'indépendance à la communauté.   

ʾIsmāʿīl, vainqueur, s'installe à ʿAra عرى dans le château des vaincus; il a huit fils dont quatre d'un premier lit et quatre d'un second. Ils les intronise chefs des villages importants et garde avec lui l'un des cadets, le cheikh Šibli شبلي, pour le seconder dans la direction de la communauté. 

Tout marche bien de son vivant; mais, à sa mort, les fils aînés revendiquent le pouvoir suprême, alors que les cadets, qui l'ont exercé en collaboration avec le père, entendent le conserver. Après d'interminables discussions, les cadets l'emportent, mais les aînés en garderont toujours un ressentiment que les générations suivantes n'oublieront pas. 

Les troubles qui, plus tard, secoueront le Jabal seront la conséquence de la rivalité, née à la mort d'ʾIsmāʿīl, entre les ʾAṭraš d'ʿAra (les cadets) et ceux de Sūaydāʾ السويداء (les aînés)

En 1918, lorsque les Français arrivent en Syrie, la famille ʾAṭraš et souveraine au Jabal; ses membres sont à la tête des agglomérations les plus importantes, sur lesquelles ils règnent en féodaux tout-puissants. 

Après les ʾAṭraš, vient la famille ʿĀmir عامر dont le chef, Ṭalāl Pāša طلال باشا, a peu d'autorité; très opportuniste, son grand souci, pendant la révolte de 1926, sera de ne pas mécontenter Sultṭān al-ʾAṭraš سلطان الأطرش en acquiesçant à certaines des ses demandes, et de garder le contact avec nos officiers de renseignement, par lettres, dans lesquelles il protestera sans cesse de son amitié pour nous. 

Les Ḥalabi حلبي e les Hunaydi هنيدي constituent deux autres communautés dans le nord du Jabal; moins importantes par le nombre que les familles précédentes, elles jouissent pourtant d'une grande influence, parce que dirigées par des hommes instruits, en relations avec les hauts fonctionnaires de Damas. Toujours mécontents de n'avoir pas, selon eux, les places officielles correspondants à leur culture et à leur intelligence, les chefs de ces communautés resteront irréductibles au cours de l'insurrection de 1925-1927 et n'abandonneront la lutte que lorsque Sulṭān et ses acolytes seront expulsés de Transjordanie par les Britanniques. 

Il y a encore au Jabal une dizaine d'autres familles (*) de moindre importance qui règlent leur conduite sur celle des grandes, tout en conservant une certaine indépendance dans les conflits intérieurs.   

Cette organisation féodale explique que la totalité des Druzes s'est rangée au côtés des ʾAṭraš, lorsque Sulṭān, au lendemain d'incidents survenus entre nos représentants et lui, a fait appel au peuple au nom de la patrie et de l'honneur druze. 




(*) Les ʾAbu Faẖr أبو فخر, ʿAzzām عزّام, Darwīš درويش, Qalʿāni القلعاني (à Nimra نمرة), Kīwān كيوان, Naṣṣār نصّار, Qunṭār قنطارṢaḥnāwi صحناوي, Salām سلام, Šalġīn شلغين.










Édouard Andréa. La Révolte druze et l'insurrection de Damas, 1925-1926. Payot, Paris 106 Boulevard St. Germain, 1937. 



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