Saturday, September 2, 2023

L'incendie



19 octobre 1925.


Tout le long de ce jour de lundi, l'incendie croît régulièrement au quartier aš-Šāġūr. Chaque éclatement de bombe en élargit le champ. Il est surtout ardent dans un lieu voisin que nous ne pouvons déterminer exactement. Nous sommes prisonniers dans notre quartier et ne pouvons encore rien savoir de la ville. Nul ne peut nous renseigner. Peut-être est-ce la Bayt al-ʿAzm? car les flammes éclairent d'une lueur de sang le minaret Sud-Est de la Grande Mosquée. Nous pensons qu'alors on voulut y attaquer Sarrail, puisque c'est là maintenant qu'il habite. J'essaie de sortir dans un rayon restreint pour me rendre compte des événements. Je passe devant le patriarcat orthodoxe, asile bien clos, à l'abri d'une attaque, aux cours dallées propres et fraîches, ombragées de vignes. Une foule de paysans chrétiens, et même musulmans, des villages brûlés, s'y sont réfugiés, hébergés, nourris par le patriarche Grégorios, le savant arabisant révéré de tous les lettrés de ce pays. Dans une cour sont les hommes hâves, aux yeux de braise, sous l'aghal et le keffiyeh, près de maigres baluchons ficelés en hâte, au moment de leur fuite; dans une autre, les femmes sont accroupies avec leurs enfants, ces curieuses fellahines du Hauran, tatoués de bleu et vêtues de noir à bandes d'azur. Je m'imagine très bien des scènes semblables au Moyen-Age, à l'abri des murs inviolables des monastères ou dans les villes fortifiées dont l'évêque était le "Defensor civitatis".










Photo: Luigi Stironi 

Texte: Alice Poulleau. À Damas sous les bombes. Journal d'une Française pendant la révolte syrienne 1924 - 1926. Ed. Bretteville Frères, (Paris 1926).  

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