Friday, August 13, 2021

Visite au harem présidentiel


Mlle Laylā me cale entre des coussins, à côté de la présidente, sa mère, dont c'est aujourd'hui le jour de la réception. 

- Comment, me dit celle-ci en français, vous avez le courage d'assister à mon jour arabe?

- Vous allez voir comme c'est "marrant", me chuchote Mlle Laylā, glissée derrière moi. Elles entrent, elles sortent, ells ne disent rien, et cela dure depuis huit heures du matin jusqu'à sept heures du soir, avec une heure pour le déjeuner! La journée de dix heures, quoi!

Arrivent deux visiteuses, absolument identiques, sous leur cagoule. Elles rejettent leur voile par-dessus la tête, jusq'aux sourcils, exécutent devant la présidente, sa fille..., et devant chaque personne présente le salut muet.... puis vont s'asseoir droites sur les chaises raides. 

Un serviteur apporte sur un plateau deux citronnades. Elles saisissent le verre, le vident d'un seul trait, murmurent: "Éternellement" (sous-entendu; "Puisse Allah te permettre de traiter éternellement tes invités") et le reposent.....Deux dames s'en vont. Tout le monde, comme mû par un déclic, se lève, salue des trois petits gestes rapides, sans l'échange d'une parole, sans l'étreinte des mains...

Trois autres arrivent (les musulmanes ne sortent jamais isolées). Mêmes salām de pantins, même absorption instantanée de citronnades..........cigaretes, bonbons...

- Vous voyez, quel amusement! chuchote Laylā. 

Je lui demande où elle a si bien appris le français; elle me raconte qu'elle est née à Nice; qu'une partie de son enfance s'est écoulée en Amérique, et que, depuis son retour à Damas, elle a toujours eu une institutrice de Paris. 

- Vous devez vous ennnuyer en Syrie?

- Horriblement! C'est la clôture, je vous assure, la clôture!

- Et celles-là, que pensent-elles de leur vie?

- Vous voulez que je leur demande?...Attendez!

- Notre vie? dit une dame au mince visage futé: un peu mieux que la mort!

- Autrefois, dis-je, les musulmanes étaient heureuses. Je me rappelle, il ya dix ans encore, très peu auraient voulu changer leur vie pour la nôtre. 

- Autrefois, oui, répond une dame de corpulence respectable. Autrefois, nous étions heureuses parce que nous croyions l'être. Nous n'avions aucun point de comparaison. Nous ne savions rien hors de la vie d'Islam. Nos enfants n'allaient pas aux écoles modernes. Ils ne nous apportaient pas de journaux illustrés. Nous ne connaissions ni phonographe, ni cinéma, ni politique. Notre âme respirait dans la paix. Mais de qui l'âme est-elle en repos aujourd'hui? Un mari qui est député, un fils qui veut partir pour l'Europe, une fille qui veut se couper les cheveux!

- ʾUm ʿAlī n'a pas donné son opinion... Elle est la troisième femme d'un époux qui a eu treize enfants avec ses deux premières et, avec elle, quatorze, en vingt ans. 

Une petite maigrichonne aux yeux vifs de souris dans un visage de cire me décoche un regard malicieux. 

- Si nous sommes heureuses? ...Autant que les anges de Paradis. 




Myriam Harry. Damas, jardin de l'Islam. J. Ferenczi & Fils 1948. 


Myriam Harry


Brigid Keenan & Tim Beddow. Damascus: Hidden Treasures of the Old City. Thames & Hudson 2000 (photo). 


Dix ans après


Noël islamique sous le Mandat Français



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