Sunday, June 12, 2022

Débuts araméens

 


 Pour peu précises et en partie hypothétiques qu'elles soient, nos connaissances actuelles sur la Damas araméenne permettent cependant de concevoir à la fois la raison d'être de la ville et le sens de son évolution durant les millénaires antérieurs, ceux que nous ne connaissons ni par des sources littéraires, ni par des documents authentiques. Un point surtout doit être retenu: le site même de la ville (marqué par celui de son centre originel: le tell التلّ, et celui du temple), établie à proximité immédiate du fleuve, mais sur le plateau dominant le thalweg, et non dans la vallée proprement dite. On reconnaît là le site classique des villages dans les régions où l'irrigation doit venir au secours de l'agriculture; toute parcelle de terrain, si infime soit-elle, où l'eau fécondante peut être amenée est trop précieuse pour qu'on la consacre à une occupation improductrice du sol. Nous pouvons en conclure qu'originellement il se trouvait là un village vivant des céréales de la plaine et des cultures maraîchères entretenues dans le thalweg, grâce à des procédés rudimentaires d'irrigation. On ne saurait opposer à cette hypothèse l'étroitesse de la bande de terrain cultivable en bordure du fleuve: plus d'un village syrien envierait encore ces quelques mètres carrés de limon humide, incapables d'ailleurs de suffire à l'alimentation d'une agglomération quelque peu dense.


Que cette modeste bourgade agricole soit devenue un centre urbain, une capitale capable de tenir tête aux conquérants assyriens, il faut peut-être y voir l'effet de l'invasion des Araméens. On peut supposer que ces derniers apportaient avec eux de Mésopotamie (une des terres classiques de l'irrigation et l'un des plus anciens foyers de la civilisation humaine) des méthodes agricoles plus perfectionnées que celles des autochtones; c'est eux qui auraient aménagé de part et d'autre de la vallée le vaste système d'irrigation grâce auquel la limite des steppes va reculer progressivement devant les terres cultivées. Un détail du moins semblerait le prouver: alors que tous les villages de l'oasis portent des dénominations araméennes (Kafar Baṭna كفربطنا, ʿAqraba عقربا, etc.) le nom que donnent à la ville de Damas ls textes égyptiens et assyriens - celui qu'elle conservera à travers les siècles: Dimašq دمشق - est étranger aux langues sémitiques et ne saurait s'expliquer par aucune d'entre elles. D'autre part, c'est la seule localité de la région qui soit établie sur le fleuve proprement dit et non sur une dérivation artificielle. Cette double antinomie conduit à considérer Damas comme ayant une origine distincte de celle des autres agglomérations de la région. Fondée par les populations autochtones, à une date que nous ignorons, mais qui est en tout cas prodigieusement reculée, elle se sera trouvée profiter des améliorations apportées par les nouveaux venus dans la mise en valeur des alentours; elle serait devenue, au détriment des autres villages autochtones de la vallée, le marché de l'oasis et des nomades. Elle n'aurait ensuite cessé de croître à mesure que les terres cultivées s'étendaient plus loin du fleuve, au point de prendre peu à peu l'aspect d'une ville entourée d'une vaste banlieue agricole, puis de devenir la capitale économique et politique de toute une région, "la tête du pays d'ʾArām".



Jean Sauvaget. Esquisse d'une histoire de la ville de Damas. Revue des Études islamiques, 1934, p. 422-480.





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