La France est un grand pays

La réunion d'ad-Dūr 

5 mai 1926. 

 Le général Andréa réunit cheikhs et notables dans une maison, les félicite tout d'abord de s'être soumis et leur parle ensuite à peu près en ces termes:

"Les français sont venus en Syrie parce que la Société des Nations leur a donné mandat d'apprendre aux Druzes, at aux populations des autres États syriens, comment un peuple indépendant doit s'adminisrer et régler ses rapports avec ses voisins. Une population comme le vôtre, qui a toujours été sous le joug des Turcs, ne peut, du jour au lendemain, lorsqu'elle recouvre sa liberté, s'administrer toute seule, puisqu'elle ignore tout de l'administration; elle ne peut pas davantage se défendre contre les ambitions des peuples qui l'entourent, puisqu'elle n'a pas d'armée organisée. La France a été déléguée comme puissance mandataire auprès de la Syrie; ellle ne poursuit aucun but égoïste, bien au contraire; elle vous envoie ses soldats, et vous apporte son expérience et ses capitaux pour mettre en valeur votre sol, développer votre commerce et faire que votre pays prenne rang parmi les nations prospères. 

"A ces nobles intentions de la France, vous répondez en vous insurgeant contre elle; vous écoutez les mensonges de Sulṭān al-ʾAṭraš, que vous savez vendu aux étrangers; vous le croyer quand il vous raconte que les soldats français sont des massacreurs de femmes et d'enfants, alors que tout notre passé n'est que bonté et bienveillance envers les faibles et les opprimés; demandez-le plutôt aux soldats algériens, marocains, malgaches et sénégalais, qui sont ici autour de votre village, et vous verrez ce qu'ils vous répondront.

"Vos familles nous ont sacrées comme les nôtres et vous ne verrez jamais un soldat français se conduire mal envers ellles.

"Sachez aussi que la France est un grand pays, contre lequel vos cheikhs révoltés ne pourront jamais rien; elle a reçu mandat de préparer la Syrie au grand rôle qu'elle doit jouer un jour en Orient; elle y consacrera toutes ses ressources et jusqu'à son dernier soldat, s'il le faut, mais personne au monde ne l'empêchera de poursuivre la grande tâche qui lui a été confié. Vous avez au Jabal six mille guerriers, la France en a des millions; à vous de voir qui aura le dernier mot.

"Retournez dans vos villages, rassurez vos familles, cultivez vos terres, vendez vos récoltes, travaillez pour accroître votre bien-être et cessez une lutte qui ne peut que vous ruiner tous, vous plongez dans la misère et conduire à la mort ceux qui, les armes à la main, se mettront en travers de notre mission.

"Vous apportez votre soumission, mais vous ne remettez aucune arme et c'est la seule condition que nous exigeons de vous, afin que vous ne soyez plus tentés de recommencer l'erreur qui accable votre peuple aujourd'hui. Après remise de vos fusils, vous aurez droit à la protection de la France et aux bienfaits qu'elle apporte dans votre pays. En attendant, chaque village laissera à Soueida, auprès des autorités françaises, un otage: cheikh ou notable, lequel rentrera chez lui après complet versement des armes."

Édouard Andréa

Édouard Andréa. La Révolte druze et l'insurrection de Damas, 1925-1926. Payot, Paris 106 Boulevard St. Germain, 1937.