Friday, July 7, 2023

Journées d'émeutes


 Le 18 octobre 1925, le haut commissaire, revenant d'inspecter les garnisons du Hauran, rentre à Damas par voie ferrée; des coups de fusils sont tirés sur son wagon au passage du train dans le faubourg de Mīdān et la fusillade fait des victimes parmi les femmes et les enfants du quartier arménien voisin. 

C'est le signal d'une émeute qui, loin de se localiser, se propage rapidement vers le centre de la ville, où les révoltés se livrent à des scènes inouïes de cruauté et de sauvagerie. Des soldats isolés, se promenant tranquillement, sont égorgés par une populace fanatisée; le sous-officier vaguemestre de l'hôpital militaire et le planton qui l'accompagne sont abattus dans la rue et empalés sur des pieux; deux autres sous-officiers sont poignardés dans le quartier Šāġūr; ailleurs, sept tirailleurs algériens surpris par l'émeute se réfugient dans une maison, à laquelle les insurgés mettent le feu et les malheureux sont brûlés vifs. Au palais ʿAzm, monument historique appartenant à la France et résidence du haut commissaire pendant ses séjours à Damas, le poste de garde est assiégé et le feu mis au bâtiment.    

C'est l'émeute dans toute son horreur; il faut l'étouffer de toute urgence avant qu'elle ne gagne le quartier européen, car, si elle y parvenait, on frémit à la pensée de ce qui pourrait s'y passer.   

L'artillerie, alertée, tire une dizaine d'obus de 120 sur le quartier Šāġūr où les chefs rebelles tiennent leurs assises; l'effet est salutaire, la fusillade cesse aussitôt; le calme revient et la nuit suivante se passe sans incident grave. 

Le lendemain matin, les coups de fusil recommencent; les insurgés parcourent les rues et terrorisent la population; au palais ʿAzm, on a pu arrêter l'incendie, mais le poste de garde n'a pas été ravitaillé, parce que ses abords sont battus par les balles des insurgés, embusqués aux coins des rues, ou abrités dans les maisons avoisinantes. L'artillerie tire à nouveau sur le quartier  Šāġūr, par coups très espacés, pour limiter les destructions; tir d'intimidation comme la veille, mais dont les effets sur les esprits sont moins marqués, car le quartier rebelle reste très agité pendant la nuit. 

Le 20 octobre au matin, les révoltés, plus hardis, pénètrent dans la caserne des gendarmes syriens, font main basse sur les armes et les munitions, sans que les gendarmes présents opposent, semble-t-il, beaucoup de résistance. Coup de force audacieux, aux conséquences graves, qui décide le commandant de la place à agir avec sévérité; un bombardement massif s'abat sur le quartier Šāġūr, toujours occupé par les rebelles. Cette fois, les chefs de la révolution comprennent que les Français se fâchent tout à fait et qu'il vaut mieux s'entendre avec eux que de continuer à agiter la ville; ils demandent une suppression du tir et envoient une délégation parlementer avec les autorités mandataires.      

Ces dernières frappent Damas d'une amende de vingt mille livres (*) et exigent la remise immédiate de trois mille fusils. Conditions acceptées sur-le-champ et la ville retrouve sa tranquillité, du moins en apparence. Cette tragédie de trois jours nous coûte: quatorze soldats tués, trente-deux blessés et onze disparus.  






Photo: Galeries Lafayette (collecion of J.-A.Otrakji). 

* Cent mille livres payables en trois jours  selon Alice PoulleauÀ Damas sous les bombes. Éditions Eugène Figuière, 1927 (p. 100). 


Stefan Weber.  Damascus: Ottoman Modernity and Urban Transformation 1808–1918, Proceedings of the Danish Institute of Damascus V 2009. 


Édouard Andréa. La Révolte druze et l'insurrection de Damas, 1925-1926. Payot, Paris 106 Boulevard St. Germain, 1937. 

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