Les mitrailleurs chargés de la garde des réseaux de fils de fer sont des Français de la métropole, envoyés en Syrie après les incidents du Jabal ad-Durūz et les émeutes de Damas, alors qu'un soulèvement général était à craindre. Ce sont des jeunes soldats n'ayant pas fait la guerre et que tout enchante dans ce pays si nouveau pour eux. Répartis en groupes dans les maisons placées aux angles des réseaux, ils vivent là pour ainsi dire en famille, se reposant le jour et veillant la nuit.
Les postes, plus ou moins espacés les uns des autres, suivant la forme du terrain, croisent leurs feux de mitrailleuses en avant et au plus près des fils de fer, rendant ainsi impossible le franchissement de ces derniers. Pendant les nuits très noires, des isolés ont pu, en certains points, cisailler les réseaux et pénétrer en ville; cela s'est produit plusieurs fois, mais jamais des groupes de quelque importance n'ont passé; les rafales de mitrailleuses, déclenchées au moindre bruit, les ont chaque fois chassées.
Pour éventer l'approche des réseaux par les insurgés, l'imagination de nos jeunes soldats s'est donnée libre cours et des inventions amusantes, parfois comiques, ont été réalisées par certains d'entre eux; système déclenchant une sonnerie à l'intérieur du poste dès que l'on touchait aux fils de fer; celui plus connu des boîtes de conserve vides s'entrechoquant à la moindre pression sur les réseaux, etc.; les postes alertés par le bruit, ou la sonnerie, jouaient aussitôt de leurs mitrailleuses et les rebelles s'éloignaient.
Trop souvent, la musique des armes automatiques se prolongeait plus que la situation de le demandait, malgré les recommandations faites à chaque fois de ne pas gaspiller les munitions. Musique énervante troublant le sommeil des gens logeant à proximité, mais ceux-ci se faisaient une raison, à la pensée que leur sécurité était assurée.
Au début de l'année 1926, Damas, sous la protection de sa ceinture de fer, doublée à l'occasion d'une ceinture de feu, reprend vite sa physionomie des jours de paix; les sūqs et les boutiques rouvrent leurs portes et le commerce s'exerce librement comme autrefois; la circulation redevient normale et la confiance renaît dans la population.
La grande majorité des Damascains ne cache pas sa satisfaction. Réservés à notre égard au moment des émeutes, parce que doutant que nous puissions prendre le dessus, les personnalités les plus en vue nous expriment aujourd'hui leur confiance, et leur nouvelle attitude est un signe certain d'amélioration des esprits, en même temps qu'un réconfort pour les autorités responsables de la tranquillité de cette cité de trois cent mille âmes.
Édouard Andréa. La Révolte druze et l'insurrection de Damas, 1925-1926. Payot, Paris 106 Boulevard St. Germain, 1937.
Photo: Luigi Stironi
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