Monday, July 24, 2023

La lettre de Monsieur de Jouvenel et la réponse des Druzes


 Le haut commissaire, M. de Jouvenel, adresse aux révoltés le message ci après;


"Aux Druzes, 

"pourquoi vous battez-vous? 
"Je suis venu vous apporter le droit de faire vous-mêmes votre constitution, de choisir vous-mêmes votre gouvernement et vos chefs.
"En continuant la lutte, c'est donc contre ces espérances et contre votre liberté que vous combattez.
"Pourquoi et pour qui?
"Il y a quelques jours, des notables druzes du Liban, désespérés de vous voir souffrir, sont allés trouver vos chefs, pour vous démontrer que les combats n'avaient plus de raison d'être et ne pouvaient conduire votre peuple qu'à la défaite, à la ruine et à la famine, dont vos femmes et vos enfants seront les premières victimes.
"L'armée française avait laissé passer ces notables, car je n'ai pas voulu que la France porte la responsabilité des malheurs qui vous menacent. 
"Cette responsabilité, Sulṭān l'a prise, car c'est lui qui a repoussé la demande de vos frères.       
"Qu'elle retombe sur lui.
"Seule, la France peut vous donner le blé, les fontaines, les écoles, et cette liberté nationale qui vous manquent et dont le bienfait commence aujourd'hui à s'étendre sur les parties de la Syrie qui sont en paix. 
"Avant l'heure décisive, qui sera celle de vos derniers combats, j'ai voulu faire mon devoir en vous avertissant que, si votre sang continue à couler, si vos femmes et vos enfants ont faim, si votre ruine et votre défaite deviennent sans remède, ce ne sera pas ma faute, mais celle de Sulṭān al-ʾAṭraš et des étrangers qui le paient, qui vous considèrent déjà comme leurs sujets et vous obligent à des combats où vous perdrez tout, sans qu'ils y risquent un cheveu de leurs têtes.     
"Entre eux et moi, vos enfants jugeront.
"Druzes, votre seul moyen de vaincre est de déposer les armes; la paix, la liberté, le pain que je vous apporte valent mieux que vos fusils. 
"Rappelez-vous que vous ne pouvez rien contre la France et qu'elle peut tout pour vous"


A ce noble message, Sulṭān et ses complices répondent par les orgueilleuse prétentions que voici:

"Soueida, 28 février 1926. 

"A son Excellence Henri de Jouvenel,   
"En réplique à la lettre de Votre Excellence, une grande réunion s'est tenue au Jabal le 25 février au village de Dāma; dans cette réunion, il a été décidé à l'unanimité d'exposer les revendications suivantes:
"1. Reconnaissance de l'indépendance des contrées syriennes avec représentation à l'étranger et admission de la Syrie à la Société des Nations. 
"2. Proclamation de l'unité syrienne et retour du Grand Liban à son ancien état d'avant-guerre.
"3. Conclusion d'un traité à durée fixe avec la France, garantissant les intérêts français sans porter préjudice à la suprématie nationale syrienne. 
"4. retrait des troupes françaises.      
"5. Amnistie générale.
"Signé: le Peuple druze."

L'inspiration étrangère se lit à chaque ligne de cette incroyable réponse: jusqu'ici, les féodaux druzes ont revendiqué l'indépendance du Jabal, vis-à-vis des autres États de Syrie, auxquels ils ne veulent être liés ni politiquement, ni administrativement; ils ont toujours été contre l'unité syrienne et ils la réclament aujourd'hui! Comment ne pas voir dans cette volte-face l'influence des extrémistes damascains et des conspirateurs étrangers.      

La réplique de M. de Jouvenel est nette:

"La lettre du 28 février signée: le peuple druze, rend impossible toute conversation directe ou indirecte avec les rebelles; le haut commissaire n'acceptera désormais que leur soumission pure et simple."


Devant la tournure que prennent les choses, les nationalistes de Damas , témoins de nos préparatifs de campagne et convaincus que le Jabal, leur allié, court à la catastrophe en voulant nous résister, font machine en arrière et demandent l'autorisation de se rendre à Soueida pour y discuter avec les Druzes de conditions de paix acceptables pour la France. Ils n'ont pas plus de succès que la délégation libanaise, et en rendant compte de leur intervention, à leur retour à Damas, ils signalent que tout le Jabal est sur pied pour faire face à notre expédition militaire et que la bataille est inévitable.








Édouard Andréa. La Révolte druze et l'insurrection de Damas, 1925-1926. Payot, Paris 106 Boulevard St. Germain, 1937. 

Photo: Henry de Jouvenel en 1933. Bibliothèque nationale de France. 

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