Deux cheikhs religieux, Ḥasan Jarbūʿ et ʿAli Ḥinnāwi, se sont soumis tout dernièrement au commandant d'armes de Soueida; ce qui porte à trois le nombre des religieux ayant abandonné la cause révolutionnaire; il en reste encore un avec Sulṭan, mais c'est le plu influent, le plus élevé dans la hiérarchie, le chef suprême de la religion druze.
Les trois cheikhs religieux soumis ont spontanément offert leur collaboration pour nous aider à ramener la paix dans le pays; ils font porter leurs lettres par des émissaires dans les villages et eux-mêmes se déplacent parfois pour visiter cheikhs et notables et les inciter à la soumission. Voici la traduction d'une de leurs lettres, récemment envoyée dans le Maqran nord, pour engager le peuple à ne plus écouter le chef de bande Faḍlallah Pāša Hunaydi, un des meilleurs lieutenants de Sulṭan:
"Discours destiné à tous les habitants du Jabal.
"Que Dieu leur fasse entendre la vérité.
"Vous, à qui s'adresse ce discours, vous avez bien vu ce que la grande et puissante armée française a amené dans notre pays comme force et matériel de guerre; ces engins rendent vaine toute résistance de votre part, et, si vous continuez, vous n'obtiendrez d'autre résultat que de ruiner notre pays, tuer notre jeunesse et augmenter le nombre de nos orphelins.
"L'Autorité française ne cherche que le bien et la prospérité de notre patrie et partout déjà elle s'emploie à réparer nos ruines.
"Ne croyez pas qu'elle a accumulé ces grandes forces pour faire disparaître le peuple druze de l'existence humaine; elle cherche seulement à mettre fin aux méfaits des bandits et à punir ceux qui sont cause de la rébellion dont nous souffrons.
"Elle est disposée à vous amnistier si vous vous soumettez sincèrement à elle. La soumission et l'obéissance à l'autorité, quand on est sûr de sa clémence, est un principe de la religion, car le bon Dieu a dit dans son livre:
"Nous venons d'apprendre que les bandes se reforment, à l'instigation de Faḍlallah Pāša Hunaydi, dans des régions qui avaient fait leur soumission; cet homme ferait du recrutement au nom de Sulṭan et payerait ses recrues avec l'argent destiné aux éprouvés druzes. Cet argent, au lieu de vous être distribué pour alléger vos misères, sert à satisfaire les ambitions personnelles de Sulṭan, lequel vous invite à commettre des crimes et conserve pour lui les avantages qui en résultent.
"En conséquence, nous déclarons que Faḍlallah Pāša Hunaydi s'est exclu de la religion en persévérant dans l'erreur.
"Que la colère de Dieu soit sur lui, comme sur ceux qui entendent ses paroles, obéissent à ses conseils et s'engagent sous ses ordres.
"Que la malédiction de Dieu et de ses prophètes soit sur eux.
Nous les excommunions et les excluons de notre sainte religion.
"Que la mort de ceux qui, parmi eux, mourront dans la situation actuelle, soit une mort d'ignorance éternelle et que Dieu les mène à l'enfer.
"Que la paix soit sur ceux qui obéiront à nos conseils."
Suivent les signatures des trois cheikhs religieux: Ḥasan Jarbūʿ,ʿAli Ḥinnāwi et Maḥmūd abu Faẖr.
Quel résultat peut-on attendre de cette curieuse littérature druze?
Probablement pas grand-chose, car le chef de la région druze est toujours Sulṭan et, d'autre part, certains individus font penser que l'insurrection a porté un coup fatal à l'influence des cheikhs religieux au profit des chefs de l'insurrection, dont l'autorité s'est beaucoup accrue. Ces derniers tiennent la campagne, parce qu'ils y trouvent un intérêt personnel substantiel; des sommes qu'ils reçoivent de l'étranger, une partie sert à payer le salaire des bandes, mais la plus grosse part va dans leur poche. Aussi, ne faut-il pas se faire illusion: ils resteront irréductibles autant qu'ils recevront de l'argent; cela explique que le Maqran nord, où il n'a pas été possible de laisser des troupes quand nous sommes partis, souffre particulièrement de la propagande et des agissements des féodaux.
Édouard Andréa. La Révolte druze et l'insurrection de Damas, 1925-1926. Payot, Paris 106 Boulevard St. Germain, 1937.